Les quatre discours     et le discours du capitaliste    


Parole de Psy

Partout règne la liberté despotique de l'argent,
et l'humain ne cesse de consommer
sa propre soumission,
asservi et déchiré par la dictature démocratique
de l'avoir et du paraître.
Selon Jacques Lacan, il existerait quatre formes de discours possibles dans l'intersubjectivité entre les "agents" du discours (et entre les "parlants" et les "écoutants"). Chacune des formes de discours peut se définir par la position prise par l'agent qui parle.

Sous cette perspective, le lien social se caractérise par la possibilité pour le sujet d'occuper diverses positions dans le discours. Le sujet peut occuper tour à tour la position d'agent du "discours du maître", du "discours de l'universitaire", du "discours de l'hystérique", du "discours de l'analyste*".

Ces quatre positions possibles du sujet déterminent les quatre formes de discours.

Le discours du maître serait le discours fondamental d'où découlent les trois autres (discours de l'universitaire, discours de l'hystérique, discours de l'analyste*).

En réalité, une cinquième forme de discours est identifiable, dominée par l'idéologie capitaliste.

Dans son enseignement, Lacan fait remarquer que le monde occidental dominé par l'idéologie capitaliste est pris dans un nouveau discours qu'il nomme "discours du capitaliste", et qu'il définit comme étant une subversion "du discours du maître".

En préambule, il est nécessaire de rappeler la "chaîne logique" définie par Lacan, et sur laquelle s'appuie la représentation des formes de discours.
La chaîne logique représente la division subjective (que Lacan note $), le signifiant maître (que Lacan note S1), le signifiant savoir (que Lacan note S2), et l'objet (que Lacan note "petit a"). Cette division peut se disposer sur quatre positions, à savoir la croyance (prise à tort pour la vérité), l'agent, l'autre, le produit. Ces quatre positions déterminent la modalité du discours qui caractérise le sujet.

Les quatre formes de discours possibles :

  1. Le discours du maître fait référence à ceci :
    Le maître met l'esclave au travail et tente de s'accaparer le surplus de jouissance qui résulte de ce travail (le profit). Son caractère fallacieux tient à ce qu'il donne à l'autre l'illusion que s'il était maître, s'il parvenait à le devenir, il ne serait plus dans la division. La division est à comprendre dans le sens que tout être humain est divisé en lui-même, entre ce qu'il dit et ce qu'il pense.
  2. Le discours de l'universitaire :
    C’est le savoir qui occupe la place dominante. Derrière tous les efforts accomplis pour inculquer à l'autre un savoir apparemment neutre, se loge une tentative visant à maîtriser l'autre (par l'intermédiaire de ce qui lui est appris). C'est l'hégémonie de la connaissance. Il rejoint celui du maître, en ce sens qu'il donne, lui aussi, l'impression à celui qui l'écoute que, s'il savait, il vaincrait, par la même, la division du sujet. Il se sert du savoir pour atteindre fallacieusement des objectifs du maître (Séminaire XVII. 24).
  3. Le discours de l'hystérique :
    C’est le lien social dans lequel tout sujet peut se trouver impliqué. La position dominante est, cette fois, occupée par le sujet divisé, que Lacan désigne comme étant "le symptôme". Le discours est tenu par celui qui cherche le chemin de la connaissance. Lacan distingue nettement le "désir de savoir" (qui utilise le savoir comme un leurre), et le savoir : "Le désir de savoir n'est pas ce qui conduit au savoir. Ce qui conduit au savoir, c'est – précisément – le discours de l'hystérique". (Séminaire XVII. 23).
  4. Le discours de l'analyste* :
    Voire l'analyste lui-même, devient, au cours de la cure, la cause du désir de l'analysant, lequel découvrira que le savoir de son propre désir n'est pas à proprement parler détenu par l'analyste, comme s'il fallait le lui reprendre. L'analyste n'est pas en position de pouvoir ou de savoir universitaire, et en ce sens, sa position est subversive. "Le discours de l'analyste est en position décisive, c'est lui qui arrête le mouvement. Il boucle le tournis des trois autres discours, mais ne les résout pas".

Qu'en est-il du discours du capitaliste ?

Comme cela a été précisé plus haut, l'idéologie capitaliste qui domine le monde occidental n'a pas échappé à Lacan. Ainsi, le monde occidental est pris dans un nouveau discours qu'il a nommé "discours du capitaliste", et qu'il définit comme étant une subversion "du discours du maître".

Le discours du capitaliste serait centré sur la personne. Le consommateur est le moteur, l'agent de ce discours. Il est sans cesse invité à souscrire à l'idéologie dominante dévoilée : le signifiant maître du Marché (que Lacan note S1). La particularité de ce discours est l'ontologie particulière du sujet. Celui-ci est perçu en tant qu'il serait non-divisé, c'est-à-dire entièrement définissable par un discours scientifique, à la fois désubjectivisé et désubjectivisant. La lumière est faite sur son désir, qui ne serait que désir de consommation. Les objets qu'il consomme auraient pour but de le parfaire, de le compléter. C'est bien la division subjective (que Lacan note $) qui est visée.
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Autres références en lien avec le "discours du capitalisme" :

1. Guy Debord

Guy Debord a repris cette approche du "discours du capitaliste" dans sa critique du monde occidental, publiée sous le titre de "La société du spectacle" (Éditions Buchet-Chastel, Paris, 1 967)
Cet ouvrage est disponible en PDF gratuit sur le site de l'Université du Québec à Chicoutimi

Lien vers le PDF :  ➤ La société du spectacle 

Selon Guy Debord, le spectacle est le stade achevé du capitalisme, il est un pendant concret de l'organisation de la marchandise. Le spectacle est une idéologie économique, en ce sens que la société contemporaine légitime l’universalité d’une vision unique de la vie, en l’imposant aux sens et à la conscience de tous, via une sphère de manifestations audiovisuelles, bureaucratiques, politiques et économiques, toutes solidaires les unes des autres. Ceci, afin de maintenir la reproduction du pouvoir et de l’aliénation : la perte du vivant de la vie.

En outre, le concept prend plusieurs significations. Le "spectacle" est à la fois l'appareil de propagande de l'emprise du capital sur les vies, aussi bien qu'un "rapport social entre des personnes médiatisé par des images".
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2. Francis Cousin

C'est également ce "discours du capitaliste" que Francis Cousin développe et dénonce lui aussi dans son ouvrage "L'être contre l'avoir" (Édition "Le retour aux sources", 2 012).

Synopsis de l'ouvrage :
« Le spectacle du fétichisme de la marchandise fait le devenir du monde. L'existence humaine n'y est là qu'une longue errance angoissée sur le marché narcissique des rencontres factices. Partout règne la liberté despotique de l'argent et l'humain asservi et déchiré par la dictature démocratique de l'avoir et du paraître, ne cesse de consommer sa propre soumission. Contre ce totalitarisme de la fausse conscience, il s'agit de tourner le dos à la mise en scène de la passivité moderne, pour retrouver les véritables chemins du sens critique et poser en pratique la question radicale de l'authenticité de l'être. À l'heure où les troubles sociaux d'envergure, qui partout s'annoncent, menacent l'organisation inhumaine de l'ordre existant, l'auteur tient à dire qu'il n'est pas indifférent de rappeler que toutes les politiques de la raison marchande sont, de l'extrême droite à l'extrême gauche du Capital, l'ennemi absolu et définitif de toute joie humaine véridique. »
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* L'analyste désigne le psychanalyste, dans le langage profane des non-initiés.

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