vendredi 23 mai 2014

Confession d’un « suicideur »

(Le billet de Loup Rebel)

Suicide par procuration, ou suicide simplement assisté, c’est toujours un homicide aux yeux de la justice. Ma confession ne change rien à cette réalité, mais je voudrais qu’elle fasse avancer le débat sur d’autres plans que celui trop étriqué de la loi, du Code pénal, et du jugement sans discernement. Dans les deux sens d’ailleurs, car derrière un « suici­­deur » peut se cacher une infinité de personnalités différentes, aux extrêmes diamétra­­lement opposés :
  • Une personne généreuse, aimante, forte et courageuse, dotée d’une empathie nettement au-dessus de la moyenne, et capable de faire abstraction de sa personne pour aider un tiers à s’épargner de demeurer dans la souffrance.
  • Un psychopathe exsangue d’empathie, pervers, lâche, déterminé dans sa haine meurtrière, sournois fourbe et méticuleux dans ses efforts pour maquiller son crime en suicide. 
  • Entre les deux, toutes les variantes possibles et imaginables, sans oublier qu’une personnalité n’est jamais tranchée dans le noir ou le blanc, mais présente toujours des facettes multiples en nuances de gris.
En lisant le récit de ma confession, libre à vous de me juger, et de me caser dans l’une des personnalités de votre choix, selon vos fantasmes. Mais prenez garde, car l’épisode que je raconte ne parle pas de ce qui s’est passé « avant » que j’en arrive à ma décision finale. Je ne vous dis pas tout, histoire de laisser votre imaginaire vous révéler les recoins secrets de votre âme, tester votre degré d’humanité, votre aptitude à vous mettre à la place d’un homme qui commet un « suicide sur autrui ». Qui vous dit que vous n’auriez pas fait la même chose à ma place ? À moins que vous n’en ayez pas eu le courage ?
Dans quelle situation seriez-vous tenté de suicider votre compagne ?
  • Si elle vous le demande ?
  • Si elle vous trompe ?
  • Si vous ne supportez plus sa souffrance ?
  • Si une maladie grave la transforme en légume ?
  • Si vous ne supportez plus sa tyrannie ?
  • Si « elle » ne vous supporte plus ?
  • Ou encore pour hériter de sa fortune ?
À y regarder de près, les mobiles pour suicider sa femme ne manquent pas !

Après ces préliminaires, venons-en au vif du sujet.

En ce temps-là, le soleil rendait aux nuits le temps volé jour après jour depuis l’éclosion des violettes et des primevères. Depuis toutes ces années que je prépare son suicide, le moment est venu d’en finir avec la vie de ma femme. Des années d’efforts chaque jour remis sur l’ouvrage de la perversion et du harcèlement dissimulé derrière la comédie amoureuse. Plusieurs fois déjà elle a tenté de mettre fin à sa vie, mais son instinct de conservation est plus fort que tout. Je n’ai pas d’autre choix que de commettre moi-même son suicide, quoi qu’il m’en coûte.
Suicide mode d'emploi
Dans ses précédentes tentatives, le problème qu’avait rencontré ma compagne pour mettre à exécution mon projet était donc lié à cette saloperie d’instinct de conservation, toujours vainqueur, car plus fort que le désir d’en finir avec sa vie. D'où sa demande adressée à moi, son conjoint, de l’aider à commettre son suicide, légitimée par des arguments inspirés de la lecture de Suicide mode d'emploi (écrit par Claude Guillon et Yves Le Bonniec, aux Éditions Alain Moreau, avril 1 985).

Mon épouse et moi vivions dans la tragédie d'un amour fusionnel. Dans ce couple pathétique, les regards portés sur notre vie à deux nous voyaient comme étant totalement assujetti l’un à l’autre, sous l’emprise amoureuse, laissant croire que toutes les limites du fusionnel avaient volé en éclats. Mon plan était sans faille jusque-là.

Mes efforts pour insuffler une obsession suicidaire chez ma femme avaient porté leurs fruits, au-delà même de mes espérances : non seulement ses proches et sa famille étaient convaincus de sa propension suicidaire, mais elle m'a demandé de l'aider à déjouer son instinct de conservation, pour réaliser mon diabolique désir – devenu aussi le sien – d'en finir avec sa vie. Nous le savions tous les deux, et nourrissions l'espoir que notre amour serait assez fort pour nous conduire irrémédiablement vers le passage à l'acte fatal.

Ça, c’est ce que je disais avant le jour fatidique. Ce soir-là, les émotions n’ont pas oublié de me tourmenter, jusqu’à provoquer des tremblements dans tout mon corps. Ne croyez pas qu’il soit facile et naturel de suicider son épouse, même si elle est consentante. Ça pose un réel problème de conscience. Ne vous moquez pas ! Je voudrais bien vous y voir, vous qui riez de voir ainsi mise à nue mon immense lâcheté d’homme faible et sans volonté. D’autant plus que finalement j’ai pris sur moi, et j’y suis tout de même arrivé…

Cette nuit-là, c’est au moment où la lumière du soleil levant s’apprête à blanchir l'horizon provençal qu’a lieu le départ prématuré de ma compagne vers l’inconnaissable monde des ombres éternelles, exode sans retour. Le médecin en charge de délivrer le permis d'inhumer étant acquis à ma cause, rien ne devait laisser place au moindre soupçon, ou à l’ombre d’un doute ; son certificat, vague et imprécis pour épargner la famille, mention­ne : « Décès par arrêt du cœur... ». Par pudeur, les règles du savoir-vivre en milieu rural lui interdisent de préciser que l’arrêt du cœur est ici causé par une overdose de produits psychotropes. Malheureusement, son remords additionné à son honnêteté m’a joué un sale tour : en douce, dans mon dos, il a avoué plus tard à ma belle-mère le coup de l’overdose !

Aujourd’hui, plus de vingt ans après, les soupçons vont bon train. Je me demande ce qui m’a poussé à raconter à deux ou trois proches de feu mon épouse cette histoire de « fromage blanc » qu’a ingéré ma femme le dernier soir de sa vie. Une pulsion incontrô­lable ? Le remords ? La naïveté ? Ou bien est-ce par défi de jouer avec le feu ? Me prouver que je suis capable de berner tout le monde ? Me suis-je pris pour Dieu tout-puissant, ou son rival Belzébuth ? Toujours est-il que j’ai parlé du cocktail fatal mélangé au fromage blanc. Ce qui est pris pour un aveu de culpabilité, car même si je jure que ce n’est pas moi qui ai mélangé ce cocktail de médicament dans le bol, ça prouve que je le savais… et je suis accusé de complicité d’homicide. En face, mes accusateurs affirment m’avoir entendu dire peu après le décès que c’est moi qui ai fait le mélange fatal. Sans doute étais-je sous l’emprise de l’alcool quand j’ai dit ça… mais je l’ai dit, oui, puisque plusieurs témoins l’affirme.

Suis-je bête et stupide au point de chercher à prouver ma culpabilité ? Voilà qu’aujourd’hui j’en rajoute une couche en revendiquant le statut d’héritier unique de cette défunte, alors que la loi en vigueur à la date du décès ne m’accorde pas ce droit… Ce qui est immédiatement interprété comme un mobile d’homicide.

Alors si je dois expier, qu’au moins mon récit serve à interpeller les consciences. Car le suicide assisté, ou par procuration, pose une vraie problématique sociétale, politique, philosophique, et juridique :
  • S’il ne peut pas choisir le moment ni les conditions de sa mort, l’individu est-il libre de vivre ou de mourir ?
  • Si cette liberté individuelle nécessite l’intervention d’un tiers pour aboutir, où situer la limite entre la complicité de suicide et l'homicide ?
Les philosophes apportent des objections éthiques ou dogmatiques à ce questionnement, mais la justice relevant du droit pénal français répond sans ambages : « il s'agit d'un homicide ».


D'autres pays sur le vieux continent ont fait évoluer leurs lois pour répondre au désir d'une personne d'abréger sa souffrance – physique ou morale – rendant possible et accessible une assistance médicalisée pour passer de vie à trépas en douceur.

À cette confession, je voudrais ajouter deux citations.

La première est de Chaval, humoriste français suicidé en 1968. Son scepticisme transparaît à travers les personnages qu'il dessinait. Il crayonnait des crétins, des imbéciles, mais aussi des désespérés comme lui, avec un humour décalé, corrosif :
« Essayez de vous suicider, si vous avez la malchance de ne pas vous réussir sur le coup, ces cons de vivants mettront tout en œuvre pour vous refoutre en vie et vous obliger à partager leur merde.
Je sais que dans la vie certains moments paraissent heureux, c'est une question d'humeur comme le désespoir et ni l'un ni l'autre ne reposent sur rien de solide. Tout cela est d'un provisoire dégueulasse. L'instinct de survie est une saloperie. »

La seconde citation est de Jacques Attali, conseiller spécial du Président Mitterrand.
« L’euthanasie sera bientôt un des instruments essentiels de nos sociétés futures, dans tous les cas de figure. Dans une logique socialiste, pour commencer, le problème se pose comme suit : la logique socialiste, c’est la liberté, et la liberté fondamentale, c’est le suicide. Le droit au suicide, direct ou indirect, est donc une valeur absolue dans ce type de société. »

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NDA : Ce texte est une fiction. Toute ressemblance avec des personnages réels serait une pure coïncidence liée au hasard.
Loup    
Loup Rebel


Déni de violence...

 (Le billet de Loup Rebel)

La violence n’est pas toujours là
où on s’attend le plus à la trouver.

Violence physique faite aux femmes,
commise par des hommes en abjection.
Violence évidente, coupable, indéniable
parce qu’elle laisse des traces visibles
sur le corps, le blesse, le mutile, le tue.

Violence morale et affective faite à tous,
aux hommes, et quelquefois aux enfants aussi,
violence commise par des femmes en flétrissure.
Violence masquée, non coupable, déniée
parce que sans traces visibles sur le corps.

Violence inapparente aux yeux de tous,
souvent, même pour l’entourage proche.

La violence faite aux femmes
ne doit pas masquer ni faire oublier
la violence commise par les femmes.

Car cette violence-là laisse une déchirure,
invisible sur le corps mais béante dans la conscience,
blessures dévastatrices, mutilantes, meurtrières.

Dans l’arène où s’affrontent
le gladiateur et l'amazone,
du vainqueur ou du vaincu,
lequel sera le plus violent ?
Celui qui mourra en premier ?
Ou bien celui qui tuera en premier ?
Loup    
Loup Rebel

Violence ordinaire d'une mère

(Paroles de Psy)
Elle est l'aînée de sa Fratrie.
On l'appellera "Ariana".
Ariana a 7 ans et demi.
Ils se sont tous retrouvés, nombreux, venus des quatre coins de la région, pour un piquenique en famille chez les grands-parents paternels, par une belle journée d’été. La mère d'Ariana est venue à cette fête champêtre à contrecœur : elle déteste sa belle famille. Pour se venger, elle décide de punir sa fille en sabordant le bonheur d'une enfant de 8 ans heureuse de partager cette joyeuse cousinade. La punition choisie par cette mère en souffrance trahit son désir refoulé de fuir cette fête, édénique pour son mari et ses enfants, mais exécrable pour elle.
Ariana se retrouve enfermée dans la voiture de ses parents ; ses cousins la regardent à travers les vitres, médusés.
Ariana pourrait ouvrir la portière et les rejoindre, mais elle ne le fait pas, car elle sait que sa mère serait très en colère si elle faisait ça. Même si Ariana ne comprend pas pourquoi sa mère lui a infligé cette punition, elle s'y soumet, profondément meurtrie. D’ailleurs, personne ne comprend cette punition insensée.
Que s’est-il donc passé ce jour-là ? Quel sortilège a poussé cette mère à infliger à sa fille une pareille sentence ? Cela fait penser à un procédé barbare utilisé par certains éleveurs de chevaux pour débourrer un animal rebelle : pour casser le jeune cheval, celui-ci est placé à l’isolement de ses congénères. L’animal devient alors dépressif, et finit par abandonner toute résistance.
Pourquoi cette insoutenable violence sans raison d’une mère envers sa fille ?
Plus de vingt ans après, Ariana a fini par trouver la réponse, sur le divan de sa psychanalyse.
Depuis quelques semaines elle était tourmentée par des cauchemars en boucle. Des flashs lui traversaient l’esprit, surgissant de nulle part, à toute heure de la journée et de la nuit. Elle n’en gardait au réveil le souvenir d’aucune image. Ariana était juste tétanisée par une angoisse de plus en plus difficile à dissiper.
Le souvenir diffus de cette journée familiale lui revint, dans une fêlure de sa mémoire.
Séance après séance chez son psy, Ariana tentait de rassembler les pièces manquantes. Le puzzle était d’autant plus difficile à assembler qu’elle allait devoir accomplir une remise en cause inenvisageable… À ses yeux, son père avait toujours été le bourreau de sa mère. Une mère qui se serait sacrifiée pour ses enfants, à ce qu’elle disait. Une mère qui protégeait ses enfants de la tyrannie du père, disait-elle encore.
Et voilà qu’une brèche venait fragiliser l’édifice construit par le discours dévastateur d’une mère aux prises avec les fantômes qui peuplent son inconscient. Le souvenir que cette mère-là était en grande difficulté relationnelle avec sa propre fratrie fut à l’origine de cette brèche. Une fêlure, en réalité.
C’est alors qu’Ariana se souvint que son père s’est approché de la voiture. Dès qu'il s'est aperçu de l'absence de sa fille, c'est lui – le soi-disant monstre – qui est venu la délivrer de cette prison dans laquelle sa mère l’avait mise à l’écart des ses cousins et cousines. Tout se dénoua d’un coup, et elle comprit le désir de sa mère dans cet acte insensé. Acte manqué d’une mère en détresse, incapable de se faire violence à elle-même en décidant de monter dans sa voiture pour rentrer chez elle et fuir ce piquenique familial auquel – par faiblesse – elle a accepté d'accompagner son mari et les enfants. Elle n'a pas osé affirmer son non-désire de participer à cette fête, pour garder le contrôle sur les liens entre ses enfants et son mari... Non, ne pouvant ni renoncer ni s'affirmer, l'inconscient de cette mère a refoulé sa violence qui s'est déchaînée sur sa fille en la mettant – à sa place – dans la voiture. L'acte manqué par excellence, fruit du refoulement psychique.
Premier dénouement de cette violence, fantôme qui hantait son esprit, Ariana doit maintenant franchir la deuxième étape : pardonner à sa mère. La compréhension de son propre inconscient l’aidera sur ce chemin du pardon. Consciente de l’existence des fantômes qui peuplent immanquablement toutes les familles, elle trouvera l’énergie nécessaire pour pardonner l’impardonnable.
De toute façon, Ariana sait bien que le pardon sera sa seule véritable délivrance.
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Paul Dussert
Votre Psy en ligne

Autre billet autour du même thème :

La crise de l'adolescence : une crise d'amour

Pourquoi j'écris, pourquoi je peins ?


Elsa Berg alias Babeth Fargier

Ou une autre façon de naitre...


L'ÉCRIRE

Longtemps la page blanche autour de laquelle je converge et rêve à la fois... Territoire encore intact. Nouveau voyage à l'inconnu...

Et soudain, cette pluie fugace de moineaux imprévus... Ou cette lente résille germant de mot en mot... Justes ? Injustes ?... Lambeaux, pollen, marées, épines, pavanes, sillages, méandres, semailles, évasions, géographie fantasque sous la neige d'un silence accablant...

La plume ruisselle de sentiers balbutiants, de jardins enclos, d'arbres tremblants, d'invisibles cités sans frontières, d'océans transparents ou opaques... D'amours, de larmes, de rires...

Plume d'écume. Plume à sillons gravés dans la tourbe. Plume écorchée.

Les lettres, les mots, leur assemblage, leurs empreintes profondes ou brèves sur la plage vierge, leurs combats ludiques, souvent nocturnes ; virgules d'une respiration, trame du souffle, retrouvailles des rythmes... Moineaux, dansez !

Est-ce que j'écris pour tenter une passerelle ? Choisir peut-être un peu ma vie ? Jouer, jouer, tels des nuages coursant la lune !

Écrire pour inventer une autre circulation, d'autres saisons, des échelles magiques, des fondations de libres et infinis univers...

Tenir debout le soleil en pleine tempête. Longtemps la feuille au vent à l'œil enfant...


LE PEINDRE

(...) Car le tableau achevé, je peux voyager infiniment dans le temps et l'espace de ces lignes, de ces couleurs, de ces volumes, de ces mesures, pour lesquels je n'ai pas eu à choisir entre le réel et l'imaginaire, mais seulement à me laisser porter vers un « au-delà » en traversant les « choses » de la VIE par le dehors et le dedans mêlés... À me laisser porter par une vague de fond dont la profondeur m'échappe.

... Et pourquoi ce bleu ici, et ce vert là ? Je ne sais pas. « Ça » pousse au fond de moi vers cet espace à créer, « ça » roule de la terre de Sienne au mauve, « ça » cahote joyeusement, et soudain, l'éclair d'un rouge ou d'un ocre assujettit ce chahut, délivre la dernière attache de la matrice.

... L'achèvement devient une naissance. Il reste de cette lutte intime et divine, l'empreinte d'un mouvement originel de la VIE... En rendant visible une vision occulte, je me détermine à sortir des coulisses d'un magma en gestation... Je me décide à EXISTER...

Et en ce sens, écrire et peindre sont par ce biais, identiques, pour moi...
Elsa Berg       
Site dédié à Elsa Berg alias Élisabeth Dussert