samedi 26 juillet 2014

Le choc du futur :
la culture élitiste dans tous ses états

(Le billet de Loup Rebel)
En dépit des petites révoltes réacs ici ou là, les ploutocrates omnipotents sur le marché juteux de la culture n’ont pas tort de s’inquiéter. De même, la distribution des connaissances au compte-gouttes sous la tutelle institutionnelle de la république doit revoir sa copie sous peine de perdre sa position dominante sur le contrôle des savoirs en circulation dans la population.
Les oligarques du savoir voient leur pouvoir de contrôler la divulgation des connaissances leur échapper. Sauf si la démocratie est vaincue par la censure décidée par ceux qui continueront à se prendre pour les élites – élites politiques, morales, ou religieuses –, demain les encyclopédies du savoir et de la connaissance ne seront ni produites ni distribuées par les mandarins de la culture. Un mandarinat à deux niveaux :
  1. Le pouvoir conféré par le statut du « savant » (celui qui sait) sur le « non savant » (celui qui ne sais pas).
  2. L’enrichissement financier des producteurs et distributeurs d’une culture vendue comme un objet de consommation.
Par exemple, on entend dire que l’édition est une industrie qui se meure, à cause de l’arrivée du numérique et internet. Ce qui me fait bien rire, car ceux qui achètent le plus de livres ne sont pas ceux qui en lisent le plus. Nos enfants n’ont en effet aucune envie d’encombrer leurs étagères avec des kilos de bouquins. Pas plus qu’avec des centaines de disques vinyles pour écouter de la musique.
Les arguments ne manquent pas pour dénoncer, par exemple, l’encyclopédie Wikipédia : « cette encyclopédie étant rédigée par "n’importe qui", elle ne peut pas constituer une référence valable, contrairement aux publications "officielles" produites par les universitaires, seuls véritables détenteurs et garant de la connaissance ». Exactement le même discours que celui des chefs d’église au moyen âge, lorsqu’ils redoutaient voir leur pouvoir disparaitre si les paroissiens se mettaient à lire des livres écrits par « n’importe qui ». Le premier « n’importe qui » auquel je pense s’appelait Galilée… et son comparse Nicolas Copernic… Vinrent ensuite la longue liste des philosophes du Siècle des lumières, puis Friedrich Wilhelm Nietzsche qui porta le coup de grâce en écrivant : « Dieu est mort ». En réalité, ce qui meurt – peut-être – c’est le pouvoir que s’octroie le chef confessionnel en imposant le dogme d’où il tire son prétendu droit à asservir, vassaliser, et inféoder. Demain, à moins que ce ne soit plutôt après demain, un Nietzsche II écrira sans doute : « l’Élitisme est mort ».
Oui, le roi est mort, mais son fantôme, non.
Que l’on ne s’y trompe pas : le modèle républicain n’est qu’une reproduction à peine dépoussiérée du modèle religieux. Vous êtes sceptique ? Alors, expliquez-moi pourquoi le seul savoir qui a droit de cité est celui dispensé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale. Et là, vous allez me réciter la phrase déjà écrite dans le précédent paragraphe (« … publications officielles… par les universitaires, seuls véritables détenteurs et garants de la connaissance »).
L’heure du  passage de la gouvernance oligarchique à la démocratie participative ne va peut-être pas tarder à sonner. On s’étonne qu’à l’école l’élève ne respecte plus le prof… Mais quand le bambin découvre en navigant sur internet que son prof qui en sait moins que lui veut lui imposer coute que coute sa vision du monde, dites-moi lequel des deux ne respecte pas l’autre ! 

Une révolution culturelle que la France profonde récuse.

Jusqu'au milieu du XVe siècle, l'accès à la connaissance était réservé à quelques privilégiés peu enclins à partager le pouvoir que leur conférait le "savoir lire". En 1450 Johannes Gutenberg a initié une transformation culturelle sans précédent avec son invention du caractère mobile d'imprimerie typographique.
L'essor de l'écrit allait connaître une expansion grandissante en se propageant sur tous les continents autour de la planète... à la vitesse des grands navires capables de traverser les océans. Le livre a pris dès l'or son caractère "sacré", sous l'instigation des hommes d'église dans l'ombre du pouvoir monarchique à cette époque.
Demain, cet amoncellement de livres sera rangé dans… votre téléphone portable !
Les chefs religieux comprirent très vite que l'imprimerie allait permettre au peuple d'accéder à toutes choses écrites. Pour garder le contrôle du pouvoir, les textes fondateurs des lois bibliques se devaient d'être considérés comme "parole de Dieu", sacrée et irréfutable. Le Siècle des lumières et les penseurs qui l'ont peuplé a fait germer une première grande et interminable révolution culturelle, avec des soubresauts qui n'en finissent pas. Mai 68 serait-il le coup de grâce porté aux maîtres du monde, incarné dans le pouvoir religieux sans cesse renaissant de ses cendres ?
En septembre 2013, la BNF (Bibliothèque Nationale de France) mettait à la disposition du public 600 livres à télécharger gratuitement, livres e-book à lire sur un écran, tablettes, smartphone, iPhone, ordinateur...
À ce jour, moins d'un an plus tard (fin juillet 2014), près de 3000 titres sont disponibles.
Demain, combien ? 30.000 ? 50.000 ? Plus encore ? Sans aucun doute, toute la littérature classique des auteurs tombés dans le domaine public sera accessible gratuitement.
Et pour les auteurs contemporains ? Contrairement aux idées reçues, aujourd'hui, la production d'un auteur participe avant tout à l'enrichissement de l'industrie de l'écrit, éditeurs, imprimeurs, et toute la chaîne de distribution.
Il faut savoir que sur 10 €uro payés par le "consommateur" qui achète un livre chez son libraire, seulement quelques centimes arrivent dans la poche de l'auteur. Le même livre vendu 3 €uro en format e-book via internet peut apporter 1 à 2 €uro à l'auteur, mais contribue à mettre en faillite l'industrie Gutenbergienne et compagnie.

Venons-en maintenant à la presse écrite traditionnelle. L'industrie des journaux et magazines a prospéré en exploitant le papier et l'encre, mis en pages grâce au génie de Gutenberg. Or il n’est guère contestable que les responsables politiques au pouvoir ont toujours recherché à contrôler les croyances populaires en finançant les universités et dirigeant les chaînes de distribution d’information.
Voilà pourquoi manipuler les médias est le sport favori des élus qui nous gouvernent. Notre histoire n’est rien de plus qu’une chronique du désir des oligarques à contrôler et influencer l’opinion publique. D'où les manipulations, conspirations, mainmises et autres turpitudes pour biaiser le trafic de l’information, obligeant l’industrie journalistique à rejeter son objectif premier : la transmission objective de l’information.
L'accès à l'information via internet remet en cause les bonnes vieilles habitudes de nos chers élus supposés nous représenter. Comme au temps de l'inquisition, on parle de censure... pour continuer à contrôler l'information, imprimatur capital pour se maintenir au pouvoir.
Qu'on y consente ou non, rien ne pourra empêcher cette révolution. Le business prospère qui exploite le génie de Johannes Gensfleisch, dit "Gutenberg", risque fort d’entendre sonner l’heure de son déclin, avant de passer sous la guillotine du cyberespace. La dématérialisation des objets physiques poursuivra implacablement sa route... Toute résistance ne fera que retarder l'échéance de cette transformation des modes d'accès à la culture.
Avec l'invention du numérique et des technologies qui portent son essor exponentiel, la révolution culturelle en marche depuis... la nuit des temps... connaît aujourd'hui une accélération effrayante, déstabilisant l'individu et les institutions. Les moins véloces cherchent désespérément la pédale de frein, invoquent toutes sortes d'arguments pour lutter contre cette transmutation qui balaye les vieilles bonnes habitudes sécurisantes. On crie "au loup !", on entend que "la planète est en danger"... Même l'éducation Nationale est aux abois, inquiète de perdre le contrôle de ce qui doit ou ne doit pas entrer dans le crâne des bambins... Et la boucle est bouclée une fois encore, comme au temps où le pouvoir était aux mains de l'institution religieuse. Aujourd'hui, c'est l'institution éducative qui règne en maître absolu sur l'accès à la connaissance. Le livre sacré n'est plus la Bible, mais celui de la religion républicaine... et de la science, propriété absolue des institutions qui l'érige en église. Une église divisée en chapelles.
Et nous, dans tout ça ? En dépit de nos petites révoltes réacs, on n’arrêtera pas les transformations technologiques qui font tout pour nous empêcher de nous installer dans la sécurité des habitudes. Affaiblir et fragiliser l'individu en le privant de ses repères... la sélection darwinienne va s'accélérer encore dans les années à venir
Alvin Toffler, l'un des plus célèbres futurologues de notre temps, parle de cette révolution culturelle dans son livre Future Shock (1970), vendu à plus de 10 millions d'exemplaires dans le monde : “Les illettrés du 21ème siècle ne seront pas ceux qui ne savent pas lire et écrire, mais ceux qui ne savent pas apprendre, désapprendre, et réapprendre”. L'éducation Nationale n'est pas loin de l'antipode énoncé dans cette phrase. Cette citation revient au psychologue Herbert Gerjuoy, tel que cité par Alvin Toffler dans Future Shock (1970).
Alvin Toffler écrit également :
“[...] La nouvelle éducation doit montrer à l’individu comment classifier et reclassifier l’information, comment évaluer sa véracité, comment changer de catégories si nécessaire, comment passer du concret à l’abstrait et vice-versa, comment envisager les problèmes sous un nouvel angle – comment s’éduquer soi-même. [...]”
Et il ajoute à propos des changements qui nous dépassent :
le choc du futur est le stress et la désorientation provoqués chez les individus auxquels on fait vivre trop de changements dans un trop petit intervalle de temps.”
L’obstacle majeur auquel se heurtent ces profondes mutations à venir est la « résistance au changement ». Dans ce domaine, la France détient sans doute la palme d’or. La majorité des Français – entendre par là la majorité issue des urnes – reste obstinément nombriliste, trop attachée au confort de ses petites habitudes, persuadée de sa supériorité culturelle, feignant d’ignorer ce qui se passe dans le reste du monde. Cette majorité est dans le déni de la culture numérique, quand elle ne le méprise pas ouvertement par des discours hautains, arrogants et dédaigneux.
Cette résistance au changement, c’est du pain bénit pour le chef politique qui cherche à prendre le pouvoir (ou à s’y maintenir), même et surtout quand il présente les réformes proposées dans son programme… Programme qui, ne l’oublions pas, porte le nom de programme « électoral »… c'est-à-dire en vue de se faire élire !
La France est un pays rural à mutation lente. À l’inverse des pays marchands, elle n’est pas spontanément évolutive. Elle a été une grande nation en situation dominante à la fin du XIXe siècle avec la réalisation de grands travaux dans l’ensemble du monde ; avec un éclat culturel exceptionnel dans la peinture, la littérature, la musique, et la création artistique en général. La France n’occupe plus la même position aujourd’hui. Elle ne veut pas se l’avouer et reste figée. Nous sommes aussi entrés dans une société de consommation où la dominante est la satisfaction des besoins individuels qui prennent le pas sur la créativité. Personne n’accepte de sacrifier ce qu’il a obtenu dans des temps plus favorables, et chacun voudrait même avoir un peu plus ! De tels facteurs ne génèrent pas une société tournée vers l’avenir.
Heureusement, la nouvelle génération semble avoir des attitudes, des intérêts, et des capacités innovants. Elle est ouverte sur le monde alors que le Français plus âgé a encore tendance à ignorer (ou refuser) ce qui se passe à Shanghai ou dans la Silicon Valley. Il a les yeux rivés sur son propre système et ne comprend pas pourquoi on veut lui retirer une partie de ses acquis… En revanche, la génération des 20-30 ans est curieuse de ce qui se passe à l’extérieur. Elle a le goût des voyages, même lointains, sans beaucoup de moyens. Ces jeunes qui partent en Chine avec quelques centaines d’euros cherchent un travail, se débrouillent, et souvent y réussissent.
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Loup
http://blog.louprebel.fr/2014/07/le-choc-du-futur-la-culture-elitiste.html
Loup Rebel

mercredi 2 juillet 2014

La lettre d’amour et d’adieu

(Le billet de Loup Rebel)
L’histoire se déroule dans le monde intemporel des étudiants, peu après le dénouement du printemps vers les longues soirées de l’été 1972. Dès notre première rencontre, Vanessa me prit la main pour me dire à l’oreille : viens chez moi, j’habite chez ma copine. 
Elles étaient éblouissantes, toutes les deux, à peine plus jeunes que moi. Leur amour m’a instantanément touché, il semblait idyllique, presque irréel. Quelques semaines plus tard, tandis que j’attendais sur le palier du loft de sa copine, la porte s’ouvrit sur Amanda en larme. Ses sanglots raisonnaient jusqu’à se perdre dans le tumulte des soirées d’été du Quartier Latin. Vanessa nous avait quittés, elle et moi. Amanda me tendit la lettre :

Ma très chère Amanda,

Mon amour pour toi est infini,
mais je veux en finir, car il est sans espoir. 

Je suis habitée ce matin par un inconsolable chagrin.

De nous deux,
l'une parle d'une histoire d'amour,
l'autre dit avoir vécu une histoire de haine,
jalonnée par les affres de la jalousie et ses suspicions.
Il s'agit pourtant d'une seule et même histoire.

Un mur d'incompréhension s’est érigé au fil du temps.

Fuir ce mur est devenu ma dernière et ultime obsession,
échapper au silence en réponse à mes paroles sans écho,
fuir vers la profondeur intense du silence de la nuit éternelle.

Le billet pour ce dernier voyage est un « aller simple ».
Voyage vers la paix absolue de la nuit éternelle, sans étoile.
Un voyage sans retour.

Les scénarios fantasques de tes films intérieurs
ont remplacé la réalité,
et la haine a remplacé l'amour.

Tu vis où ?

M’as-tu dit ce matin devant ton bol de café.
Ces trois mots ont achevé d'anéantir les derniers fils du lien
qui maintenaient encore un sens à ma vie près de toi.

Oui, je vis chez toi.
Merci de me le rappeler.
Je vis chez toi,
comme tu me l'as demandé.

Je vis chez toi encore,
Tu me l'as encore redemandé
il n'y a pas si longtemps.

Tu me l'as toujours demandé
avec toute la force de ton amour.
Comment aurais-je pu te le refuser,
puisque mon cœur s'est toujours
consumé pour toi.

Pour toi seule.
Ne t'en souviens-tu pas ?
Tu voulais vivre « avec » moi.
Je voulais vivre « avec » toi.

Aujourd'hui, dans ton cœur,
la haine a remplacé l'amour,
et tu me reproches de vivre près de toi,
chez toi.
Pardon de vivre chez toi.

Pardon pour tout,
pardon d'avoir contrarié tes projets,
pardon de m’être opposé à ton désir
de quitter ce monde il y a sept ans,
à cause d'une autre avant moi.

Pardon d'encombrer ta vie.
Aujourd’hui c’est à mon tour
de vouloir quitter ce monde.

Pardon aussi pour tout ce que j'ignore des souffrances
que tu t'es infligées à cause de moi,
après celles que tu avais déjà traversées
à cause de cette autre avant moi.

Tu dis avoir honte de notre histoire ?

Alors il faut aussi que je te demande pardon d'exister,
pardon d'être la cause qui t'étouffe du bâillon que tu t'es mis
pour t'empêcher de dire ta souffrance à personne.

Ce bâillon qui t'enferme dans un douloureux silence,
ce bâillon pour cacher ton sentiment de honte,
reflet de ton orgueil blessé
par ton homosexualité non assumée,
pardon d'en être la cause à tes yeux.

La femme qui m'a donné la vie à contrecœur
m'a confessé avant son grand départ pour la nuit éternelle
ses regrets de n'avoir pu me donner son amour de mère
avant que l'enfant que j'avais été
ne fût brisé par cette absence.

Toi qui m'as donné ton amour de Femme,
tu vis aujourd'hui dans le regret de m'avoir trop aimée.

Tu éprouves un sentiment douloureux
de ne pas avoir été payée en retour,
à la hauteur de ce que tu m'as donné de toi.

Pardon pour mon ingratitude qui n'a pas compris
ni pris en compte cette dette envers toi,
alors que cela aurait été « la moindre des choses » à tes yeux.

Pardon, enfin, de n'avoir
ni honte ni regrets pour tout ça,
bien au contraire de toi,
car à nous deux réunis,
notre mémoire sélective a tout enregistré.
Mais toi et moi avons enregistré
deux parties différentes de notre histoire.

Ma tristesse vient de l'amour
que je te porte comme au premier jour,
la tienne vient de la haine
qui a ravagé l'amour que tu partageais hier.

Ton flacon est à moitié vide,
Le mien est à moitié plein.
Les deux réunis 
pourraient en faire un seul entièrement plein,
à partager jusqu'à plus soif.

Nous avons vécu chacun la moitié
d'une même histoire,
une histoire partagée,
une vie commune partagée
en deux moitiés d'histoire,
une histoire qui se transforme
en deux histoires.

L'amour donne vie,
la haine la reprend.

Il n'y a pas de vainqueur.

Il n'y a pas de vain cœur.

La haine peut prendre la vie,
l'amour peut la rendre.

Plus tard dans la soirée, nous entendîmes la voix sans émotion du transistor jamais éteint égrener les infos sur les ondes de Fip radio : "le Quai des Orfèvres est fermé à la circulation entre le Pont Neuf et le Pont St Michel ; le corps d’une inconnue a été repêché dans la Seine..."

Elle l'a donc fait, en dépit de notre espoir qu'elle n’irait pas jusqu'au bout de ses mots.
Amanda n’a pas supporté. Pour elle tout était ma faute. Elle m’accusait des sentiments amoureux qu’éprouvait pour moi Vanessa, à l’origine de leurs querelles de couple depuis notre rencontre. Je ne l’ai jamais revue, mais chaque fois que je lis le poème de Vanessa, l’image intacte de leurs visages s’affichent sur les écrans de ma mémoire. Chaque fois, ce pincement au cœur que nous inflige le souvenir d’un merveilleux malheur* est au rendez-vous de mes émotions.  

Ce récit imaginaire met en exergue le célèbre aphorisme du couple impossible aux prises avec le paradoxe qui oppose la déception et l’attachement : « vivre ensemble nous tue, nous séparer serait mortel ». En lien avec ce aphorisme, toute ressemblance avec des personnages de la réalité ne serait pas une coïncidence…

*Un merveilleux malheur, en référence à l’ouvrage de Boris Cyrulnyk
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Loup
Loup Rebel