Cupidon

(Chronique du psy)
Propos sur l'amour... à propos de l'amour  
« … elle court, elle court, la maladie d'amour… » Michel Sardou (écouter sur Youtube)
« Être aimé veut dire "se consumer dans la flamme". » Rainer Maria Rilke
« Aimer, c'est échapper au doute et vivre dans l'évidence du cœur. » Gaston Bachelard
« … c'est que l’amour, c’est de donner ce qu'on n'a pas. » Jacques Lacan

Chacun y va de son discours, alors allons directement à la source la plus populaire du mot « amour », et voyons ce que nous dit Le Petit Robert :
Disposition favorable de l'affectivité et de la volonté à l'égard de ce qui est senti ou reconnu comme bon, diversifiée selon l'objet qui l'inspire. Affection, attachement, inclination, tendresse. (Dictionnaire Le Robert, Paris 1989, p. 61)

Lorsque le mot amour est prononcé, une chaîne de rapports peut être établie à la suite de cette énonciation. Par « chaîne de rap­ports », on entend le processus de cons­cien­tisation du  sujet envers son propre désir. Le fait de parler, d'énoncer, implique la possibilité de tenir compte de sa raison d'être.
Aujourd’hui, l’énonciation du mot amour n'a plus de place, surtout plus de valeur dans ce que la société de ce début du XXIe siècle exige du sujet. Société qui demande l'objectivité, les résultats brefs, l'exactitude, la consom­mation. L'ordinateur, le photocopieur, enfin la robotisation remplace tout ce qui repré­sente les concepts qu'on trouve dans la définition de l'amour : affectivité, volonté, sentiment, inspiration, attachement, tendresse. Ces concepts sont jugés démodés. Le sujet n'écrit plus de lettres, il les envoie par ordinateur ; il ne dévoile plus ses sentiments, il sous-entend qu'il est compris ; il n'attend plus, il n'a pas de temps. Voilà quelques fruits de la modernité.

En évoquant le mot société, il faut bien comprendre son extension. Ce que désigne ce mot ne se limite pas à un être individuel, à son contexte familial, ni même à des groupes restreints. Ce n'est pas aux petits rassemblements de personnes qui forment les petits groupes, comme les tribus, les villages, etc. que ce mot fait allusion. Certes ces éléments sont parties structurantes de la société. Plus exactement, c'est à ces « institutions sociales » qui envahissent les centres les plus peuplés, où l'individualité est négligée au profit du fonctionnement de l'ensemble que le mot société renvoie. Les valeurs des  individus peuvent alors être contraires aux valeurs véhiculées dans le groupe. Cependant, il n'y a pas de place pour leur expression. Nous pouvons prendre comme exemple les institutions surpeuplées comme certains établissements d'enseignement, les industries, certains groupes sociaux ou religieux, etc.. La valeur prédominante est celle que privilégie le groupe, et souvent – surtout en ce qui concerne les domaines éducationnel et professionnel – les individus sont seulement partie intégrante et anonyme d'une grande masse.

En revanche, les rapports à l'amour restent très présents sur le plan des individus. Ils renvoient à la question de l'objet d'amour : désir, idéalisation, attente, perte et deuil. Sentiments éprouvés par tous les sujets, mais pas toujours manifestés :
[...] le discours amoureux est aujourd'hui d'une extrême solitude. Ce discours est peut-être parlé par des milliers de sujets (qui le sait ?), mais il n'est soutenu par personne ; il est complètement abandonné des langages environnants : ou ignoré, ou déprécié, ou moqué par eux, coupé non seulement du  pouvoir, mais aussi de ses mécanismes (sciences, savoirs, arts)(1).
La littérature, le cinéma, le théâtre, en somme l'art en général est très influencé par la négation de l'extériorisation de ces sentiments. Les créateurs, par  souci de se conformer aux  exigences des  mass  médias, par désir de connaître le succès immédiat, privilégient bien souvent un art qui plaît davantage aux sensations qu'aux émotions. En galerie, le design a déclassé la peinture et la sculpture réalistes ; au cinéma, surtout avec l'avènement des effets spéciaux, le scénariste sait qu'il est plus payant de divertir que de conscientiser…

Mais l'art survit et représente probablement une des seules formes d'expression dans laquelle le sujet peut aller à la rencontre de « celui en lui », qui parle, qui écrit, enfin qui désire. D'ailleurs la psychanalyse, depuis Freud, a toujours démontré l'importance du processus amoureux (qui englobe la question du désir et de l'objet d'amour) dans le développement de l'être humain.
Le rapport avec le premier objet d'amour – la figure maternelle – sera reproduit et répété dans l'essence des relations vécues par le sujet tout au long de sa vie. Il y a alors répétition d'une expérience première qui a été à la fois plaisante et souffrante. Et c'est précisément ce rapport avec l'objet d'amour, maintenant représenté par d'autres objets que la figure maternelle, qui est décrit par Roland Barthes dans son texte Fragments d'un discours amoureux.


(1) Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Paris, Seuil, Coll. « Tel Quel » 1977, page 5.


Parole de Psy
Paul Dussert

Paul Dussert

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