La psychanalyse conduit-elle à l'anarchie ?

(Paroles de Psy)

Une « éducation » réussie sera celle qui aura su proposer
les moyens d'émanci­pation pour échapper à la tutelle...
de l'éducateur... et de son autorité.

Éduquer, disait Lacan, est « impossible ».
C'est sur cet impossible, autant que sur les « impasses de l'enseignant » et sa capacité à tenir une place subjective, que l'éducation érige la réussite... (ou l'échec !) d'un futur incertain de l'apprenant, être humain en devenir, adulte, éclairé et libre. Par « enseignants », il faut entendre parents, profs, éducateurs, et autres éveilleurs de conscience...

Là où l'éducation a échoué dans son rôle émancipateur, la question se pose de savoir si la psychanalyse nous fait évoluer de l'inconscient chaotique et insociable vers le conscient structuré, domestiqué, dompté, maîtrisé, disci­pliné... ou bien vers une conscience libertaire ? 

La rumeur urbaine affirme que, à notre conscience structurée, s'oppo­se­rait un inconscient chaotique. Il peut paraître en effet séduisant de définir l’incons­cient comme anarchiste et de réduire la psychanalyse à un simple rôle de normalisation. En gros, une fois soigné, le révolutionnaire deviendrait soumis à l'autorité de la pseudo-démocratie. Avec Jacques Lesage de La Haye, anar­chiste militant, psychanalyste, écrivain, ancien taulard, on est invité à une réflexion un peu plus nuancée, au-delà des apparences et des idées reçues.

L’inconscient est en chacun de nous un univers de pulsions, de désirs, d'émotions, d'affects et de sentiments enfouis et refoulés qui semblent se jouer de toute règle sociale. Cet inconscient obéit à des principes de fonctionnement primaires qui échappent aux lois les plus élémentaires de la vie en collectivité.

Cela peut se traduire par « moi d'abord » ! Ou encore : « Je n'accepte aucun interdit ». Ensuite : « je veux tout, tout de suite, et tout le temps ». Enfin : « J'élimine tout ce qui se trouve en travers de ma route ».

Nous retrouvons un peu l'espèce animale, seulement plus élaborée, affirmée, pré-conscientisée ou verbalisée. Ce n'est pas cela que l'on appelle l'anarchie. Cette théorie politique implique l'auto­discipline, l'ordre, sans la hiérarchie et l'autorité qui en découle bien sûr, mais avec la gestion directe, qui est essentiel­lement collective et consensuelle.

Évidemment, l'inconscient fait preuve de violence, de colère, de révolte, d'esprit de contestation et même de subversion. Cela survient, lorsqu'il est frustré. Nous retrouvons bien là les immenses capacités de création, mais aussi de destruction de l'être humain. La pulsion de vie devient parfois malade, morbide, agresse autrui ou se retourne contre elle-même et s'automutile.

C'est ce qui a poussé Freud à croire en l'existence d'une pulsion de mort. Cela traduit surtout son pessimisme radical, alors qu'il s'agit seulement d'une évolution patho­logique de la pulsion de vie.

En tout cas, l'anarchisme ne se réduit pas à la violence, à la révolte, à la contestation et à la révolution. La violence peut-être raciste, la révolte religieuse intégriste, la contestation fasciste et la révolution marxiste-léniniste. Limiter l'anarchisme à ces critères revient à tomber dans le panneau classique où il n'est question que de désordre, de violence et de chaos. Ce schéma sert le pouvoir en place. Il suffit de lire ou d'écouter les journalistes et les hommes politiques, lorsqu'ils parlent d'anarchie.

L’inconscient, dans ce sens, n’atteint pas un niveau suffisant d’organisation, de conscience (et pour cause !), ni de prise en compte de la dimension collective, pour parvenir à des comportements réellement libertaires.

Pourtant, nous pouvons admettre que l'inconscient paraît libertaire, au sens primaire du terme qui implique le refus de toute contrainte. Mais nous savons bien qu'il s'agit là d'un cliché populaire ne correspondant en rien à la véritable définition de l'anarchisme. Il s'agit tout de même d'un projet de société faisant appel au sens le plus élevé de la responsabilité humaine, ce qui n'est le cas ni du communisme, ni du libéralisme, ni même de la social-démocratie. Ces sys­tèmes sont basés sur l'autorité, la con­trainte, et l'exploitation de l'homme par l'homme. La langue de bois et la phrasé­ologie idéologique leur servent d'alibi et de rideau de fumée.

Nous sommes bien là dans le principe de plaisir de l'élite au détriment du plus grand nombre. Le principe de réalité de l'anar­chisme ne privilégie personne et s'applique à produire le bien-être de tous, ou en tous cas de le favoriser.

Un dernier point reste à aborder : la psycha­nalyse, qu'elle soit exclusi­vement verbale, ou bien émotion­nelle et corpo­relle, vise à libérer l'individu de ses con­traintes intérieures et de ses inhibi­tions. Par ailleurs, elle nous amène à nous différencier de l'autre et donc à prendre son désir en considé­ration. Il ne s'agit plus de vouloir tout, tout de suite, et tout le temps. Le sujet devient donc libre et respectueux de la liberté d'autrui. Ce qui est profon­dément libertaire.

Les patients ne deviennent pas tous libertaires en fin d'analyse. Sans doute en raison de leurs limites personnelles, leurs inhibitions, et surtout à cause du respect insuffisant d'autrui. Mais bien plus encore par ailleurs, ne l'oublions pas, à cause de leur psychanalyste qui, tout à fait inconsciemment, leur aura transmis ses propres limites, théoriques, dogmatiques, philosophiques, politiques ou idéologiques.

Le psychanalyste, attentif à ne pas interrompre le processus d'éveil de son patient, lui permet d'aller jusqu'au bout de lui-même et de s'ouvrir pleinement à la vie. L’analysé sera désormais totalement libre et respectueux également de la liberté d'autrui. Il pourra même aller jusqu'à se sentir vraiment libre seulement si l'autre l'est aussi complètement. Cela ne signifie pas qu'il rencontrera les théories anarchistes sur son chemin. Mais son comportement sera, en réalité, profondément libertaire.


Parole de psy
Paul Dussert
Paul Dussert

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