(Paroles de Psy)
Lacan voit en Socrate un précurseur de la psychanalyse.
Entre les 2 500 ans qui séparent les deux philosophes, un texte fondateur méconnu de Socrate est à prendre en considération, à savoir la métaphore des origines de l'humanité rapportée dans la bible (chapitres 1 à 5 de la Genèse) : tentés d'accéder à la connaissance en en goutant le fruit, Adam et Ève furent chassés du paradis terrestre. Ce qui s'interprète comme la fin de la béatitude originelle, état supposé avant la naissance de l'être humain doué d'une conscience.Or la compréhension du désir passe par l'objet inatteignable, que Lacan a nommé « objet petit a », en le qualifiant de « réel que l'on ne connaît pas ». Inatteignable parce qu'inconnaissable, cet objet devient la source de l'insatisfaction perpétuelle du désir, interprétée symboliquement dans la genèse comme la fin du paradis terrestre : à vouloir connaître et atteindre l'inaccessible, l'Homme se condamne à souffrir de ne jamais y parvenir. C'est pourtant la quête de cette énigme qui pousse l'analysant à chercher quel est l'objet de son désir, et donc sa complétude ontologique (hétéro, homo, ou autre). Le langage étant un cercle clos, le sujet ne parvient pas à entrevoir la signification des symboles qu'il présente. Aussi, lorsqu'il exprime ses désirs par le langage, l'analysant met son psychanalyste en place de Grand Autre supposé en détenir les clefs. Il attend donc que cet analyste lui en révèle la signification symbolique.
Lacan nous dit que l'analyste est alors en mesure de lui faire découvrir que le Grand Autre n'existe pas et qu'il n'y a pas de signification. Son rôle est juste d'aider l'analysant à assumer le « manque à être », lié au « manque à connaître ». Ce n'est pas le fait d’un mystérieux hasard si la bible utilise le signifiant « connaître » pour signifier « avoir une relation sexuelle avec un(e) "autre" » ; pris au pied de la lettre, ce serait une prétention vertigineuse de croire que parce qu'on fait l'amour avec un(e) autre, on connaît cet(te) autre.
Socrate représenterait cet analyste qui au travers de ses dialogues cherche la définition du sens des choses. Il s'agit encore et toujours de la connaissance. Ses disciples croyaient dès lors qu'il pouvait avoir ainsi accès au Souverain Bien. Socrate incarnait le Grand autre aux yeux de ses disciples. De même, l'analysant croit que son psychanalyste possède les clefs du langage. C'est méconnaitre que les dialogues socratiques sont purement aporétiques. Socrate confronte ses interlocuteurs à leurs propres contradictions, il les pousse à réfléchir sur leurs représentations pour qu'ils soient cohérents. Sa position en tant qu'antidogmatique n'est transitive vers aucun savoir : il s'agit au contraire de faire comprendre qu'aucun savoir n'est possible. C'est bien ce qu'il affirme lorsqu'il dit : « Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ».
Avec Lacan, le rôle de l'analyste est de faire comprendre à l'analysant que l'objet final (réel) du désir n'est ni connaissable, ni accessible. Il ne peut en exister que sa représentation dans l'imaginaire. C'est en cela que Lacan dit que « Socrate est le précurseur de la psychanalyse ». La différence entre le philosophe grec et la psychanalyse 2 500 ans plus tard est toutefois décisive. Elle se situe dans la façon d'appréhender le rôle du symbolique, à l'intérieur de l'espace qui sépare le réel de l'imaginaire. À l'exception des actes manqués et des lapsus, cette dimension a échappé presque totalement à Freud, tandis que Jung l'a pressentie, sans parvenir à en décrypter les contours. Cette avancée mise en lumière par Lacan est de taille, car elle comble un vide auquel ni le réel ni l'imaginaire ne sont capables de répondre. Le symbolique permet de désigner le désir, de le représenter, et de le matérialiser sans l'assouvir dans un passage à l'acte insatisfaisant, voire impossible.
La question de l'objet réel du désir ne se pose plus, dès la prise de conscience et l'acceptation qu'il demeure inconnaissable et inaccessible.
Paul Dussert
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